Notes sur le Système Ki ©

Le Ki
Ki, mot japonais, est l’énergie vitale invisible qui fait bouger les choses. J’utilise ce mot comme une allégorie en rapport avec l’énergie qui anime mes automates. L’auditeur, s’il est aussi spectateur, ne voit et n’entend que les conséquences de cette vibration. Dans ce contexte, les automates sont des porte-parole de la vibration plutôt que des instruments de musique inventés, puisque j’utilise des instruments déjà existants provenant de divers pays.



Le Système Ki
Ce Système est proche des préoccupations de Maurice Martenot (Les Ondes Martenot et ses Diffuseurs) et du travail d’Alvin Lucier (Music for solo performer, 1965). Depuis plusieurs années, je travaille sur un système de mon invention qui anime des automates produisant une musique axée sur la percussion. Le Système Ki transforme la modulation de fréquences électroniques en un phénomène acoustique. Ce sont des modulations de basses fréquences inaudibles qui activent les automates Ki. Le Système KI implique dans l’ordre l’électronique, l’électrique, la mécanique et finalement la gravitation.



L’automate Ki
L’automate Ki est un petit haut-parleur (woofer) jouxté à un instrument de musique. Sur le haut-parleur est fixé, au centre de sa partie mobile, un percuteur souple. Ce percuteur, animé par le mouvement de va-et-vient du haut-parleur, va se frapper dans un mouvement oscillatoire à des instruments acoustiques (tambours, cymbales, cordes).



Le percuteur
Il y a une structure souple, faite de bois et de fer, fixée à la base mobile du haut-parleur, c’est le percuteur. Il est construit de façon à obtenir un mouvement oscillatoire lorsqu'une vibration lui est appliquée, semblable au tympan de l’oreille. Chaque percuteur est fabriqué spécifiquement pour un instrument particulier.



La Variable Aléatoire
La Variable Aléatoire alloue aux phénomènes stochastiques*, par différentes stratégies, de se manifester et d’agir sur le chemin qu’empruntent plusieurs énergies propre au Système Ki. La résultante étant ultimement la production d’un son acoustique. La Variable Aléatoire raffermit la cohésion et le dynamisme de l’orchestration. En effet, lorsque les possibilités de ponctuations de la cadence augmentent, on observe l’apparition du contrepoint qui annonce la multiplication de dialogues et de conversations entre les percussions. Trouver où se cache et faire agir la Variable Aléatoire particularise les rythmes idiosyncrasiques produits par le Système Ki.


*Stochastique: Qui est le fruit du hasard, au moins en partie. Qui comporte la présence d’une variable aléatoire. (Petit Robert)



La modulation
Le premier maillon de la chaîne d’énergies du Système Ki est la modulation de fréquences originale, de 1 à (+-) 40 hertz, à partir d’une source qui peut provenir d’un synthétiseur, d’un instrument accoustique ou des ondes alpha du cerveau...



Le flocon
C’est l’organicité du rythme qui m’interpelle: modeler la matière sonore, laisser la nature pénétrée dans le système; chaque flocon de neige n’est-il pas unique?



La vibration
Le son est une vibration. D'un point d’origine, une énergie brise l'ordre inerte des choses, et la vibration se propage. Elle s'amortit par le degré de densité de la matière qu’elle rencontre, et se tait pour toujours comme elle est née. Cette vibration est appelée son que si elle a été captée par L’oreille Humaine. C’est l’histoire de ce cheminement qui nous est contée lorsqu’on écoute la musique des automates Ki. Pour utiliser une analogie, les radiotélescopes entendent les hautes fréquences en provenance du Cosmos. Ces fréquences nous atteignent après un long parcours qui nous en dit à la fois peu, et beaucoup sur cette énergie qui fut jadis libérée. En d’autres termes, cette onde de choc primordiale s’est transformée avec le temps. Et c’est par l’entremise de manifestations multiples et souvent imprévisibles qui nous affectent, que nous savons qu’il y a eu libération d’énergie à un moment donné. Cela est semblable au parcours qu’emprunte le flux d’énergie du Système Ki.



L’affiliation
À l’écoute des automates, une affiliation à une culture musicale particulière peut nous venir à l’esprit, mais c’est comme un mirage. Car le moyen utilisé au départ pour construire cet amalgame de sons repose sur des algorithmes qui n’ont rien à voir avec la métrique de quelque tradition musicale que ce soit. Il n’en reste pas moins, qu’au delà de ces considérations théoriques, mon intérêt dans le développement du système n’est pas étranger au fait que je suis percussionniste moi-même: sensible aux affinités que la géométrie organique de la musique des automates entretient avec le fabuleux terroir rythmique de l’humanité.



La flexibilité
Les principes mécanistes de l’automate du 18ème siècle, n’ont abouti qu’à perpétuer l’image du robot qui joue la même rengaine ad vitam eternam. Par contraste, c’est l’emphase sur la flexibilité du contrôle et la porosité aux accidents qui me séduit.



La souplesse
La musique des automates Ki n’est pas basée sur une mécanique précise dont le but serait de copier la dextérité du musicien. Cette musique s’appuie plutôt sur un système souple reposant sur la vibration qui est le principe fondateur du son.



Le Gate Ki
Ces interrupteurs sont branchés sur les fils des automates. L’effet obtenu par ces interrupteurs pourrait être comparé à celui d’un gate électronique*. Mais dans ce cas ci, ce gate utilise la mécanique pour fonctionner. Par exemple, l’intensité de la vibration, qui met en mouvement le mercure d’un interrupteur de ce type, détermine l’alimentation du flux électrique à l’automate. Ces interruptions de courants font naître de brefs et imprévisibles silences sonores qui dynamisent l’automation de l’orchestration.
* Gate : composant électronique qui a pour principe de ne laisser passer, selon son ouverture, que la ou les plus fortes intensités du flux électrique.


La programmation Ki
L’enregistrement multipiste de la modulation de fréquence, qui active les automates, est possible et permet une programmation des orchestrations. Lorsqu’on joue un enregistrement des modulations avec tout les changements opérés, les automates reproduiront en direct les tempos, les orchestrations et les durées voulus, mais l’interprétation diffère à chaque fois. À l’écoute des différentes interprétations, je peux ainsi mesurer de l’ampleur de la Variable Aléatoire.



La polyrythmie Ki
La polyrythmie des automates est la résultante du Système Ki. Pour être plus précis, il ne s'agit pas d’une polyrythmie au sens strict du terme. En l’analysant, ce rythme crée à la fois l'illusion d'une grande cohérence et d'une étroite communication entre les automates. Mais à y regarder de plus près, c’est un rythme qui déboule et trébuche dans les faits. Car la rythmicité des automates ne repose pas sur la métrique propre à la notation musicale. Mais elle procède de la Variable Aléatoire, et en bout de ligne, ce sont les lois de la gravitation qui priment. Si j'avais à définir ce type de rythme, je le désignerait comme étant une rythmique polygravitationnelle.



Le temps
Je pense que la subdivision du temps, dans ce territoire musical où s’interpénètrent les sons, est un domaine de recherche sonore fascinant. Il représente la possibilité d’intercaler des sons alimentant le silence dans ses plus infimes retraites...



La console d’impulsions
Tous les automates sont contrôlés individuellement par une Console d'impulsions. Cette dernière est un peu comme une console de mixage traditionnelle, mais vous comprendrez ici que le curseur ne produit pas un volume audio proprement dit. Le curseur, agissant comme un potentiomètre, détermine le nombre de watts donné à l'automate qui engendre lui-même des sons acoustiques. Cette console reçoit les impulsions de la modulation de fréquences originales et distribue celle-ci à une tour d'amplificateurs. La tour est branchée aux fils des haut-parleurs/automates.



Les crocodiles
Le type de branchement que j’utilise sur les câbles provenant des amplificateurs, et qui aboutissent aux automates, sont des crocodiles. Deux raisons m’ont amenées à choisir ces crocodiles plutôt que tout autre type de connecteurs. La première raison, c’est qu’en tout temps, je peux changer la phase, qui est le [positif/négatif] ou [négatif/positif], ce qu’on appelle dans le jargon: phase ou off-phase. Ces branchements, lorsqu’on les interchange, permettent une forme de court délai à la production du son sur un automate. La seconde raison est sa fiabilité: jamais de court-circuit puisque le (+ ) et le (- ) sont séparés. Ces crocodiles permettent aussi de raccorder en série rapidement plusieurs automates pour créer des ensembles. Et soit dit en passant, il n’y a pas la notion classique de mâle/femelle chez les crocodiles-connecteurs. Ils mordent à pleine dents sur tout ce qu’ils peuvent.



La gravitation

Le mouvement oscillatoire du percuteur accumule de l'énergie et relâche celle-ci de temps à autre. Dépendamment de la distance qui le sépare de l'instrument, il y aura production d’un son acoustique. C’est par la fluctuation de la distance entre l’instrument et le percuteur que s’opèrent les lois de la gravitation.

T E C H N I K I

T E C H N I K I